Fête des Lumières : Olivier Ratsi joue avec nos perceptions
Pour sa première participation à la Fête des Lumières, rencontre avec Olivier Ratsi qui présente l'œuvre Frame Perspective, place de la République.
Pouvez-vous nous expliquer quel est le principe de l'anamorphose ?
Olivier Ratsi : L’anamorphose est une image volontairement déformée, qui lorsqu’on la regarde sous un angle particulier, depuis un angle de vue précis ou à travers un dispositif optique, peut se reconstituer dans sa totalité.
J’utilise la technique de l’anamorphose depuis presque 15 ans : j’ai toujours eu cette démarche d'explorer notre perception de l’espace, de tenter de décrypter toute une masse d’informations sur l’espace et sur le temps, en inscrivant de la temporalité. Lorsque j’utilisais le mapping, destiné à la projection sur de grands bâtiments et que j’ai eu la chance d’explorer en tant que pionner à partir de 2007 au sein du collectif Antivj, la technique de l’anamorphose en faisait partie intégrante. En effet, pour créer des illusions sur les bâtiments (déformation, extrusion, etc.), il faut se trouver idéalement positionné à un endroit précis pour que l'illusion fonctionne parfaitement. Ce procédé est désormais au centre de mon processus de création. J’ai détourné le phénomène de l’anamorphose pour remettre en question notre espace et notre environnement.
Considérez-vous la lumière comme un matériau avec lequel on peut créer ?
Le fait de travailler avec la lumière aujourd’hui est le résultat d’un processus qui a peut-être commencé lors de mon enfance... La fenêtre de ma chambre lorsque j’étais enfant donnant sur un boulevard, je m’amusais la nuit tombée à regarder les lumières des voitures qui défilaient : en plissant les yeux tout en fixant un point immobile dans l’espace, les lumières des voitures apparaissent comme des traînées lumineuses. Il me suffisait d’accompagner le mouvement des voitures avec la tête pour redonner leur aspect normal et faire ainsi apparaître ces lumières en tant que point lumineux. Ce genre d’exercice mental lumière-espace-mouvement, celui-là parmi tant d’autres, a ponctué mon enfance.
Au-delà de la fascination, la lumière a toujours été une source d’interrogation. De plus, j’étais très intrigué par le concept de la relativité générale restreinte d’Albert Einstein, essentiellement parce que cela paraissait difficilement compréhensible pour le jeune garçon curieux et songeur que j’étais. Mais l’adoption de la lumière dans mon travail s’est plutôt imposée naturellement ; la photo et la vidéo ont été des étapes intermédiaires avant d’utiliser la lumière de la vidéo-projection, non pas pour diffuser du contenu sur une surface, mais plutôt dans le but d’interroger le support, l’espace, le volume, grâce à la technique du mapping que j’ai utilisée à partir de 2007. Ce n’est qu’à partir de 2011 que la lumière diffuse s’est imposée comme étant mon médium principal. En complémentarité avec la lumière projetée qui permet de modifier la perception qu’on peut avoir à partir d'un support physique en projetant directement dessus, la lumière diffuse me permet de créer dans l’espace même tout en irradiant autour et ainsi créer un lien avec l’espace.
Quel est la place du spectateur dans vos œuvres ?
Il y a plusieurs manières d’expérimenter l’œuvre :
- le spectateur est libre de se déplacer dans l’espace et vivre et ressentir l’œuvre telle une abstraction selon sa propre expérience et sensibilité.
- en se plaçant sur le point de vue de l’anamorphose, en se superposant à mon point de vue, le spectateur peut essayer d’imaginer ce qui m’a permis de construire l’œuvre, en l'occurrence des règles géométriques précises qui ne sont pas accessibles à partir d’autres points de vue.
- enfin, l’effet de surprise de l’anamorphose teste les capacités du spectateur à déconstruire / reconstruire ce qu’il perçoit, afin de mieux lui demander “Que voyez-vous réellement ? Est-ce bien conforme à ce que vous pensez voir ?”.
A quoi peut-on s'attendre pour votre projet de la Fête des Lumières ?
Frame Perspective est une installation audiovisuelle faisant partie de la série Echolyse commencée en 2013, qui est un ensemble de projets traitant de la perception de l’espace. Grâce à un dispositif variable, des structures géométriques virtuelles ou réelles sont déployées dans l’espace dans le but soit d’y créer une continuité, comme pour Frame Perspective, ou bien de rentrer en conflit avec l’espace existant.
Quel rôle le son va-t-il jouer dans cette œuvre lumière ?
Les créations sonores de cette série sont réalisées par Thomas Vaquié avec qui je collabore depuis plusieurs années, sa création se veut dans le prolongement de la scénographie lumineuse déployée au sein de l’installation.